interview die tageszeitung

german, original version: https://taz.de/Kuenstler-ueber-Sexualitaet/!5614035/

Artiste sur la sexualité

“L’art d’aujourd’hui est asexué”

Marcus Kreiss considère comme son devoir artistique de mettre le sexe au premier plan et parvient à semer le trouble.

Marcus Kreiss porte un chapeau d’art de sa propre création en carton: “Just a cow-boy with a papier hat …” 
Photo: Jean-François Raffalli

taz: Marcus, pourquoi as-tu tourné le dos à Hambourg il y a 40 ans?

Marcus Kreiss: Je voulais faire de l’art et du cinéma à Paris. Certaines personnes commencent toute de suite à étudier. Mais je devais d’abord aller à l’armée.

C’est pour cela que tu es allé à l’étranger?

Certainement aussi.

Pourquoi pas le service civil?

Je ne voulais plus rester en l’Allemagne.

À Hambourg, tu as dirigé Hertzwelle , le journal de l’école Heinrich Hertz. Qu’est-ce qui s’est passé exactement alors?

Nous avons écrit dans le numéro 9 de Hertzwelle sur le sexe. C’étaient des récits innocents, principalement de jeunes femmes. Sur la couverture, il y avait des jeunes hommes nus. J’étais responsable de l’édition et j’ai reçu un blâme. En d’autres termes, si tu te fais remarquer de nouveau tu dois quitter l’école. C’était un grand truc. Cela doit être décidé par le conseil de discipline de l’école. Et je me souviens encore de la façon dont les professeurs de gauche se sont éloignés de moi.

Sans blague. Comment?

En n’étant pas solidaires. Ils ont dit: “Tu as propagé de la pornographie parmi les plus jeunes. L’avertissement est juste. “

Était-ce de la pornographie?

On disait que légalement il en était ainsi. Et vous ne devriez pas la diffuser chez les moins de 18 ans. C’était un non-sens. Nous avions moins de 18 ans dans les récits. Vous pouvez donc le vivre, mais vous ne pouvez pas le décrire. Bizarre.

N’y avait-il pas de compromis? Distribuer les numéros aux classes supérieurs?

Nous l’avons fait de facto. C’est surtout le moins de 18 ans qui posait problème. Nous aurions pu le distribuer dans les classes supérieures. Tant de gens ne l’ont pas lu, mais le directeur a dit qu’il devait me donner l’avertissement.

Est-ce que cela t’as fait peur?

Non. J’ai trouvé ça une bonne expérience. La presse est arrivée, des photos ont été prises. Nous avions la couve de Stern et Konkret . Ils voulaient les filles avec des seins devant. La télévision a également fait des sujets. J’ai beaucoup appris à propos de la presse, et comment vendre des choses. Si l’on ne fait pas un scandale, personne ne parle de vous.  Mais une bonne provocation fonctionne toujours.

Qu’as-tu fait à l’étranger?

Je suis allé à Vienne, pour une école de théâtre et les beaux arts. Ensuite je suis allé à Paris. Mais d’abord, j’ai dû apprendre le français. Ensuite, je suis allé à Florence, puis j’ai obtenu une bourse d’italien.  L’état a tout payé. Hôtel et pâtes. J’ai étudié le cinéma à Rome, à Cinecittà.

Pourquoi n’es tu pas devenu journaliste?

Mais je suis aussi journaliste. J’ai crée souvenirs from earth , ou sfe.tv , depuis 2006 , une chaîne de télévision par câble. On montre des films d’art, mais c’est aussi un média politique. Elle était pendant longtemps dans la moitié de l’Allemagne sur le câble. Au début, j’ai fait tous les films moi-même; aujourd’hui, plus de 3 000 artistes utilisent cette plate-forme.

Aujourd’hui, tu peins des nus.

Il me fallait peindre à nouveau.

L’une des galeries parisiennes a mentionné dans a présentation le mouvement étudiant de Hambourg en 1980.

C’était l’annonce d’une discussion sur la sexualité dans l’art.

MARCUS KREISS

57 ans, artiste et réalisateur né à Hambourg et vivant à Paris. Sa prochaine exposition s’intitulera “Matadoras, make it look like an accident” et se tiendra du 14 septembre à la fin octobre à la galerie Anne Clergue à Arles.

Le rédacteur en chef du taz, Kaija Kutter, a travaillé en 1980 avec Kreiss dans la rédaction du journal étudiant pan-allemand Cyancali , qui a réimprimé les textes de Hertzwelle et a également été interdit.

La galerie n’a montré que les couvertures de magazines avec les filles nues. Pourquoi pas ta couverture de Hertzwelle avec les mecs nus?

Personne ne m’a demandé. Mes autres œuvres sur l’art public sont beaucoup plus importantes. Je ne veux pas concevoir l’art autrement que dans un contexte social. Ma dernière exposition s’appelait “Sexworks-Coitbar”. Et elle montre des portraits de travailleuses du sexe.

Femme ou homme?

Les deux. Il s’agit d’un vieux sujet. L’industrie du sexe existe. Mais elle a un gros problème de censure. Mes photos sont bloquées sur Facebook lorsque les nippels sont visibles. Et ces travailleuses du sexe se révoltent, surtout en Amérique. Beaucoup de travailleuses du sexe ont leur compte bloqué.

Parce qu’ils sont des travailleurs du sexe?

Oui. Et je fais de vrais portraits pour ces travailleuses du sexe. Pratiquement des affiches publicitaires. Bien sûr, le titre “Sexworks” se veut à nouveau provocant.

Pourquoi la provocation est-elle nécessaire?

Parce que l’art est aujourd’hui asexué. Jusqu’aux années 1950, l’art était plein de sexe, des corps…d’hommes aussi bien que des femmes. Quand vous allez au Louvre, le corps humain est omniprésent. Dans les années 60, le corps humain a disparu de l’art. En partie à cause des démarches conceptuelles et minimalistes. On pouvait proposer un bloc de béton, qui est plus facile à vendre. Le marché de l’art est devenu un monde d’exclusion. Comme si les gens n’avaient plus les mêmes désirs qu’il y a 100 ans. C’est pourquoi j’ai initié cette discussion. Et beaucoup de mes modèles sont des sexworkers. Je connais cette scène.

Comment est-ce arrivé?

Les modèles érotiques pour les femmes nues sont aussi des travailleuses du sexe. Ils me racontent leur vie. J’avais déjà peint des nus à l’école d’art. Puis, pendant des années, je n’ai fait que des films. Quand j’ai recommencé, j’ai peint des tours HLM. Mais peindre un nu est plus difficile que de l’architecture.

Les maisons ne bougent pas.

Oui. Et vous pouvez être dans l’à-peu-près. Si vous peignez un humain, vous devez observer beaucoup plus de près. Et surtout, je peins les gens aussi grands qu’ils sont. Je ne peux rien dessiner de plus petit que taille réelle.

Pourquoi pas

Parce que je ne le sens pas. Quand mon amie a commencé à travailler sur l’ordinateur, j’ai dit, arrête ça, tu auras un gros cul.

C’est méchant.

C’est ce que je voulais dire. Ma vie était comme ça. Chaque matin, je m’assoyais devant l’ordinateur pour mille raisons : gestion, textes, édition des films… C’est à ce moment que j’ai recommencé à peindre. Je voulais avoir cette expérience physique. Au début, je peignais de gros camions et les exposais, comme en 2013 ou 2014. Ce n’est qu’après que les nus sont arrivés.

Où trouves-tu des modèles?

C’était d’abord une amie, puis elle m’a envoyé une autre amie etc. Au tout début, j’ai également booké des modèles pour mes films.

Avez-vous des relations sexuelles avec elles?

Ça arrive. Je pense que c’est génial. Parce que personne ne fait plus ça. J’aime ma situation. Je vis à Paris dans la vieille maison et je suis peintre. C’est anachronique. Je peins des nus par opposition. Certaines galeries ne montrent pas mon travail parce que c’est trop cul, même si ce n’est pas du porno… c’est juste des femme qui sont offensivement trash. Mais les gens ont des problèmes avec ça. C’est pourquoi je le fais, toujours à l’opposé des dogmes.

Les images montrent la femme comme un objet sexuel.

Les femmes ne se voient pas dévalorisées. Elles ont souvent plus de sous que moi et vivent dans des hôtels de luxe. Elles se servent de leur beauté. Une d’elles diffuse ses films d’art sur ma chaîne de télévision. Mais elle gagne son argent avec des photos érotiques. Poser et veiller à rester en forme, ce n’est pas un mauvais travail. Une autre femme est une féministe très active. Issu d’une famille de la classe ouvrière du nord de l’Angleterre et elle fait du hard. Ce sont des femmes indépendantes. Elles ne veulent pas être sauvés. Une autre a filmé comment elle se masturbait. En qualité cinéma avec une grue. Très beau. Tout ça pour produire des contenus alternatifs aux productions audiovisuelles inoffensives.

Quoi

Tout ce qui est sale et offensant, on ne le supporte pas, car cela ne rentre pas dans les règles du commerce. Tout doit être propre aujourd’hui. Il est de notre devoir artistique de mettre le « sexe sale » au premier plan.

Combien en as-tu peint?

Beaucoup. Je n’ai pas compté. Mais j’ai techniquement avancé. Je peins sur du papier journal avec un crayon de cire noir. On doit le coller, sinon ça va casser. Un problème que j’ai résolu maintenant. Je vais te montrer une peinture …

Elle n’est pas nue.

Non. La plupart ne sont pas nus du tout. Mais ce sont des portraits. Je rends hommage à ces femmes qui sont regardés de travers. Donne moi un artiste important qui n’a pas peint ces femmes. Toulouse Lautrec n’a peint que ça. Ses portraits de putes sont aujourd’hui visibles dans des millions de salons bourgeois. Bien que la prostitution soit interdite en France. Les prostituées descendent dans la rue parce que la loi les conduit à l’illégalité. Ils n’ont pas la protection contre l’agression à laquelle ils sont exposés.

Une image montre une femme sur des talons hauts qui se penche.

J’ai l’ai fait tirer en affiche :  The bright Side of Capitalisme. Il a été bien reçu, en particulier chez les jeunes femmes.

Mais personne ne peut se tenir comme cela.

Mais si. Je montre la photo.

Oh, c’est la photo.

Oui. Je peins surtout à partir de photos. Même si une image semble avoir été réalisée rapidement, il me faut un jour ou deux pour réaliser des centaines de versions avant de tenir la bonne. Parfois, je peins aussi en direct. C’est dans les boîtes de nuit, en été… La plupart des gens ne regardent que la fille. Mais c’est payé.

Est-ce que tu peins que des femmes?

J’ai aussi des nus mâles et des scènes d’amour où les hommes sont présents. Mes modèles me disent, « fais des hommes ».

Beaucoup de sujets dérangent.

Quand l’art ne frappe personne, il ne remplit pas sa mission.

As tu des ennemis à Paris?

Il y a un an, plusieurs œuvres avec des scènes pornographiques accompagnées de slogans politiques ont été présentées lors de l’exposition The Bright Side of Capitalism . Une femme a d’énormes queues devant, derrière et partout. Au-dessus se trouvent des slogans du langage financier: “Augmentation des parts de marché, rendement immédiat”. « unique sales position, return of investment ». Ça fonctionne comme une publicité. Je retourne les moyens de manipulation du système contre lui.

Tu l’as peint?

Oui. Mais pas dessiné de façon réaliste. Ce n’est pas un porno où l’on peut s’exciter. Mais c’est efficace. Et puis sont venues des femmes de Science Po, c’est une école d’élite française. Ils voulaient me parler de mes tendances sexistes. Alors j’ai dit: C’est fait exprès. Ces gens ont tendance à nous imposer leur position comme seule possible et ceux qui se sont le plus opposées à eux sont mes collaboratrices.

Honnêtement, je comprends les femmes de Science Po.

Je m’attendais pas à autre chose.

Les articles dans nos journaux étudiants portaient sur l’égalité. Les jeunes femmes ne voulaient pas être l’objet des hommes.

Il s’agit de sexe dans la société. Le sexe perturbe beaucoup de gens. J’ai été censuré dans un bar de Cologne quand j’ai montré une femme jouant au tennis sur High-heels. Des féministes ont fait pression sur le patron, l’affiche devait partir. Si je montre un homme comme un objet sexuel, personne ne proteste.

Les femmes sont toujours dans la position structurellement inférieure. C’est un acquis de respecter la sensibilité des autres.

Mais on n’est pas obligé de bannir le sexe de l’art. Le cul a du mal à exister dans l’art contemporain parce que beaucoup de conservateurs sont pratiquement asexués. Même une photo de l’origine du monde de Gustave Courbet accrochée au musée d’Orsay ne peut pas être affichée sur Facebook. Et là, vous voyez une femme aux jambes écartées. C’est l’histoire de l’art. C’était il y a 150 ans. Je milite pour que cela puisse exister de nouveau.

Ta famille vit à Hambourg. Veux tu y retourner un jour?

Cela me tente déjà d’y monter un projet artistique. Une sorte de galerie d’art qui ne ressemble pas à ça et qui est déguisée en sex-shop.

12. 8. 2019

Cette interview a été ménée Par

KAIJA KUTTER